Intentions chorégraphiques

La Bête et la Belle

« Ce qui est redouté comme un acte bestial devient une expérience de profonde humanité et d’amour. » (Bruno Bettelheim, Psychalanyse des Contes de Fées)

La Belle et la Bête : une expérience de la rencontre. Au-delà de la richesse symbolique et de la fonction initiatique du conte, c’est bien de cela qu’il s’agit. Une déclinaison de la rencontre entre deux inconnus, deux univers : la Belle avec la Bête, le langage du corps avec celui des mots, l’énergie du hip hop avec celle de la danse contemporaine… sans jamais circonscrire les frontières. Qu’importe de tomber amoureux d’un étrange étranger — qui ne l’est pas ? — l’essentiel se place au fond du cœur.

Belle est un personnage universel. Sa quête personnelle nous a interpellé et donné l’envie de parler de la construction de soi : à travers sa recherche d’accession à l’intime, dans le passage de l’enfant à l’âge adulte, dans la libération des sentiments, des émotions et des intuitions. Apprendre à écouter son langage intérieur pour affiner la perception du monde qui nous entoure. Apprendre à ressentir et comprendre qu’une sensibilité assumée n’est pas aveu de faiblesse. Laisser la place au toucher, sens auquel on prête des intentions réductrices tandis qu’il nous permet de créer une autre forme de communication, si riche. Apprendre ou réapprendre à toucher donc, en respectant l’espace et le lieu de chacun. Savoir se partager tout en restant chez soi.

Ce conte, à travers sa relecture, était le point de départ idéal pour s’adresser à un public adolescent. L’adolescence marque par son état la perte temporaire de nos repères corporels et spatiaux. Elle nécessite une véritable réadaptation au monde. Sans nier le besoin d’ancrage dans le réel et l’attachement à un discours raisonné et introspectif, il lui faut développer son accès à l’émotion, à l’intime, à l’imaginaire et à la rêverie. Réfléchissons ensemble à la façon de donner des clés à chacun pour se construire en individus, en dehors des schémas attendus et préconçus, pour se réaliser en harmonie. Dans ce courant de vie qui passe et qui fluctue, où trouver les ressources pour s’émanciper et s’accepter ?

Une partition corporelle et chorégraphique s’est donc imposée dans le cheminement de cette création. Elle permet ainsi d’en prolonger le discours par le sensoriel et ancrer le propos dans une strate plus organique et instinctive. Cette dernière, aujourd’hui encore trop peu abordée, est mise de côté au profit de l’unique oralité.

Nous avons la responsabilité de montrer qu’un autre langage est possible, que la rencontre entre deux êtres ne doit pas suivre une conduite dictée et codifiée mais laisser la place à la palette de sentiments qui colorent nos échanges.

Que le respect et la liberté de nos corps passent par la conscience et l’attention qu’on leur porte, et qu’en les apprivoisant de la sorte nous ne nous offrons que plus d’envol.

Marguerite Chaigne