Défi en scène

Projet pédagogique

Comment faire de la culture un bien commun, une maison où tous se retrouvent, apprennent à vivre ensemble et en tirent plaisir et profit ? Comment faire pour que la pratique artistique, d’ordinaire si cloisonnée socialement, puisse devenir un trait d’union entre des publics venus de cultures et de milieux bien différents ?  

Un ciment social

A travers des projets de création artistique, « Défi en scène » veut d’abord rassembler sur scène et le temps d’une aventure artistique celles et ceux qui sont motivés et attirés par la pratique d’un art. Parce qu’elle leur donnera accès à ce qu’ils ignoraient d’eux-mêmes. Parce qu’elle leur apparaîtra comme une vraie « discipline ». Mais pas seulement ! Le projet porte en lui secrètement, presque à l’insu de ceux qui y participent une donnée humaine essentielle : le ciment social. Il ne suffit pas en effet de décréter « le mieux vivre ensemble » pour qu’il existe. Encore faut-il créer les conditions les plus naturelles et les plus ouvertes possibles pour laisser une chance à cette belle idée de naître, puis de se développer et enfin d’être quasiment indispensable. Un véritable défi ! 

Des défis…

La force d’un projet de création artistique, c’est de garantir un mode d’apprentissage fondé sur la motivation et le plaisir. Mais ces ressorts fondamentaux sont souvent détruits par des exigences élitistes, des attentes formatées, des apprentissages magistraux et des relégations. 

Un premier défi : une partition pour chacun 

L’autre défi, intrinsèquement lié au premier,  c’est précisément d’offrir à chaque participant de nos projets, une partition adaptée et librement consentie : adaptée à ses possibilités qui sont toujours créatives,  et consentie par le dialogue et l’échange avec les autres.  

Un autre défi : la solidarité 

En assurant à chacun une partition artistique, adaptée à ses aptitudes, sa créativité, ses savoir-faire, nous cherchons à faire vivre, sans discours ni obligations, la solidarité. Cet autre défi n’est pas le moindre : chacun des acteurs du projet est responsable de son rôle, mais bien plus : cette responsabilité est indéfectible. S’il ne l’assume pas, ce sont tous les autres acteurs qui sont en danger. Il n’est pas question ici de générosité ni de compassion : la solidarité, c’est être avec les autres, tous embarqués dans le même projet,  tous liés, pour qu’il réussisse et qu’il offre à chacun comme à tous, dans la confrontation avec un public, une fierté incommensurable. 

Des professionnels au service des projets

Ces défis sont ambitieux : ils sous-entendent exigence, rigueur et travail. Nous sommes loin du cadre de l’animation culturelle fondée trop souvent sur l’indulgence et l’acceptation de l’à peu près. Mais la pratique artistique n’appartient pas à cet univers-là. 

C’est pourquoi, pour réconcilier les publics jeunes et adolescents avec cette valeur si méprisée aujourd’hui – le travail -, nous avons fait le choix d’engager des artistes professionnels, toujours en activité et en création. Ils sont au fait par leur métier toujours exercé, des pratiques artistiques variées et contemporaines, mais ils sont pour les publics concernés incontestables dans leur légitimité. Mieux ! Leurs conseils, leurs remarques, leurs exigences sont acceptées et même dépassées ! 

Le constat

Mon expérience d’enseignante ayant exercé dans un établissement public classé ZEP à Caen, puis dans des établissements privés près de Versailles, à Mantes et à Evreux confirme malheureusement ce que le dernier rapport sur le collège a dénoncé : depuis 30 ans, aucune réforme n’a enrayé le déterminisme social. Même les moyens mis en œuvre dans les zones d’éducation prioritaire n’ont pas donné de résultats tangibles. Les inégalités persistent. 

 Il en est de même pour la culture. Elle ne « se mélange » pas, tout comme les pratiques artistiques : aux banlieues des villes le hip-hop, le slam, le rap, le stand-up, au centre-ville la musique classique, la danse, le théâtre et l’électro-pop. Ces « territoires » de la culture sont si évidents et naturels dans la tête des Français que des films comme L’Esquive de Abdellatif Kéchiche, sorti en 2004, qui raconte comment une classe de collège de banlieue met en scène, sous la houlette d’un professeur de français une pièce de Marivaux Le Jeu de l’amour et du hasard  ou des pièces patrimoniales comme  Roméo et Juliette, mis en scène par Alain Sachs et joué par des lycéens de deux établissements aux profils socio-culturels très différents apparaissent comme des ovnis. Ils forcent le respect certes mais restent des exceptions, voire de doux rêves.  

D’autre part il est vrai qu’au vu des inégalités des pratiques culturelles – un rapport de l’Observatoire des inégalités de 2013 dévoilait qu’en 2012 69% des cadres supérieurs étaient allés au moins une fois dans l’année visiter un musée contre 20% des ouvriers, 80% des cadres supérieurs avaient au moins lu un livre dans l’année contre 31% les ouvriers, 63 % des cadres supérieurs étaient allés au théâtre contre 23 % des ouvriers- cette différence des pratiques artistiques selon les territoires urbains est obstinément ancrée et indéboulonnable. Sans compter que les initiatives et actions culturelles et artistiques menées depuis trois décennies dans les établissements scolaires ou les lieux de culture des secteurs périphériques en direction de publics défavorisés n’ont pas été plus convaincantes. Même si aujourd’hui chez les jeunes l’accès à la culture est plus facile, même si les cultures populaire et légitime coexistent, reste que la circulation entre ces deux cultures est le fait de jeunes issus de classes aisées. Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités déclarait en 2011 comme pour corroborer cette observation : « L’éclectisme est souvent à sens unique : si les cadres supérieurs organisent souvent des soirées karaoké, l’ouvrier se rend rarement à l’opéra. »  

Le constat reste très amer : la pratique artistique n’a pas eu les effets de la pratique sportive. Jamais la pratique artistique n’a fait tomber les barrières comme la pratique d’un sport qui, quand il est vécu dans un club, a un pouvoir fédérateur, puisque chacun sert une équipe sans que les statuts sociaux, familiaux, scolaires ou financiers des joueurs ne soient en jeu.  

Comment « Remettre le poireau à l’endroit » comme l’écrivent Jean Viard et Jean Blaise dans leur livre qui porte ce titre provocateur et sous- titré Pour une autre politique culturelle. « Pour nous, écrivent-ils, avant d’être politique, la terrible crise que nous traversons est d’abord culturelle. La Culture est devenue un ensemble de pratiques et d’équipements, un «ministère», la démocratisation piétine et le vivre ensemble se délite. » 

C’est précisément cette volonté  de reconstruire un vivre ensemble vivace et fort, au travers de projets de créations artistiques, qui nous anime.